Il y a quelques jours nous avons vécu un traumatisme collectif par les massacres perpétrés par des fanatiques religieux alors que s’échangeaient encore des vœux de bonne et heureuse année.
Après le moment du choc, de la sidération, est venu celui du réconfort : nous nous sommes retrouvés, étonnamment nombreux, dans l’espace public, pour partager notre émotion. Ce moment a été très important car il semble que nous ayons renoué, par la reconnaissance partagée de notre attachement à un certain esprit d’irrévérence vis-à-vis des pouvoirs incarné par Charlie Hebdo, avec une vérité précieuse sur nous-mêmes que nous avions perdue de vue.
Il serait intéressant de réfléchir sur ce que peut être cette vérité qui nous constitue en tant que société malgré toutes nos différences, et qui résonne si largement dans la conscience des hommes de par le monde – comme on l’a vu avec le mouvement international de solidarité suite à ces événements.
Car le troisième moment – celui que nous avons atteint aujourd’hui – ne peut être que celui de la réflexion en vue de l’action. Mais il ne faut pas confondre l’action avec la réaction. Dans le comportement par réaction les buts ne sont-ils pas déterminés par l’agresseur, plutôt que par celui qui réagit ?
On peut alors se demander si ce langage guerrier que l’on entend beaucoup aujourd’hui et qui incline à renforcer les pouvoirs de police et de répression, et à légiférer pour restreindre les libertés, n’est pas essentiellement un symptôme réactif. L’ennui, alors, serait qu’il ait été anticipé par les agresseurs – ou plutôt leurs commanditaires – et que, finalement, il servirait leurs intérêts.
La réflexion pour l’action se demandera plutôt ce que nous pouvons faire, en tant que société singulière – française et multiculturelle –, pour que recule le fanatisme religieux.
La première lucidité n’est-elle pas d’avoir conscience que ces tueurs fanatisés et surarmés viennent de chez nous ? N’ont-ils pas grandi parmi nous et fréquenté nos institutions ? Ne ressemblent-t-ils pas à tant de jeunes avec qui nous avons travaillé, en lesquels nous avons pu nous fier pour l’intérêt commun ?
S’il faisaient partie du « nous » par lequel nous faisons société, comment ont-ils pu dériver vers des comportements aussi meurtriers et suicidaires ? Qu’avons-nous manqué pour que soit possible une telle dérive ? Pourquoi tant de jeunes – des centaines – désertent-ils notre vivre-ensemble pour s’engager dans le djihad au Moyen Orient ?
Cela n’a-t-il pas à voir avec l’éclipse de cette valeur collective avec laquelle nous avons renoué après le massacre à Charlie Hebdo ?
Qu’est-ce qu’être fanatique ? Comment le devient-on ? Pourquoi le fanatisme s’empare-t-il si volontiers de la croyance religieuse ? Pourquoi la laïcité a-t-elle été impuissante à se poser en rempart ?
Nous proposons, en tant que café-philo, de participer à cette réflexion désormais très nécessaire sur « le fanatisme religieux et nous ».
Pierre Jean DESSERTINE