Document 1 : Quelques exemples de ces modes d’appréhensions
négatives de la diversité et des différences humaines.
« Concernant
le mariage, il y a telle diversité qu'ici un homme a une seule épouse, là une seule
épouse légitime mais plusieurs concubines, ailleurs enfin plusieurs épouses légitimes.
Ajoutez l'innombrable diversité des rites sacrificiels, parmi lesquels celui
des Chrétiens, offrant le pain et le vin, les disant le corps et le sang du
Christ, et mangeant et buvant eux-mêmes la victime sacrifié, paraît le plus
abominable, puisqu'ils mangent ce qu'ils vénèrent. Avec tous ces rites qui
diffèrent, en outre, selon les temps et les lieux, comment réaliser l'union, je
ne le conçois point. Or, faute d'y réussir, point ne cessera la persécution,
car la diversité engendre l'aversion, l'inimitié et la guerre. »Nicolas de Cues (1401-1464) De Pace Fidei (XVI)
« Une des idées maîtresses de cet ouvrage, c’est la
grande influence des mélanges ethniques, autrement dit des mariages entre les
races diverses [...] on présenta cet axiome que tant valait le mélange obtenu,
tant valait la variété humaine produit de ce mélange et que les progrès et les
reculs des sociétés ne sont autre chose que les effets de ce rapprochement. »
Joseph Arthur Gobineau (1816-1882) Essai
sur l’inégalité des races humaines, 1855
« [...] il semble que la diversité des cultures soit rarement apparue aux hommes pour ce qu'elle est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés ; ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale ; dans ces matières, le progrès de la connaissance n'a pas tellement consisté à dissiper cette illusion au profit d'une vue plus exacte qu'à l'accepter ou à trouver le moyen de s'y résigner. L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. “Habitudes de sauvages”, “cela n'est pas de chez nous”, “on ne devrait pas permettre cela”, etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. »
Claude Lévi-Strauss (1908-2009) Race et
histoire, 1952
« Seule
la raison peut dépasser cette appréhension primaire du monde et de l’humanité. De
l'ethnocentrisme européen, des traces indélébiles demeurent, affectant au
quotidien la communication interculturelle. Nos globes terrestres ont toujours,
du moins dans les productions de série, la même orientation, qui force les
habitants de l'hémisphère austral (on ne parle plus, comme au Moyen Âge,
d'antipodes) à se considérer comme situés audessous de ceux de l'hémisphère
Nord. Dans le vocabulaire courant des relations internationales, le
Proche-Orient (en anglais Near East) est toujours l'orient le plus proche de
l'Europe, comme l'Extrême-Orient (en anglais Far East) est le plus éloigné de Paris
ou de Londres, le Moyen-Orient occupant une position médiane par rapport aux deux
premiers. Ces discriminations passées dans le langage perpétuent insidieusement
les mythes et les légendes de l'ethnocentrisme européen. Il est vrai - mais la
consolation est maigre - que d'autres systèmes de référence ethnocentriques
perdurent ou se créent. Les atlas japonais contemporains placent toujours,
comme au XIXème siècle, l'empire du Soleil Levant au centre des planisphères illustrant
les livres scolaires ; les Australiens ont même créé un planisphère centré sur leur
pays et où la rose des vents a été inversée, comme pour mieux signifier le
rejet des orientations européennes. »
Katérina Stenou Images de l’autre, 1998
Document 4 : La différenciation humaine est le résultat d’interactions
multiples entre Nature et Culture, entre les éléments innés et acquis, entre
les gènes et le milieu.
« De
l’interaction de ces éléments simples s’élabore une complexité unique, un
individu. La diversité des individus qu'engendre la reproduction sexuelle dans
les populations humaines est rarement prise pour ce qu'elle es : l'un des
principaux moteurs de l'évolution, un phénomène naturel sans lequel nous ne
serions pas de ce monde. [...] Par une singulière équivoque, on cherche à
confondre deux notions pourtant bien distinctes : l'identité et l'égalité. L’une
se réfère aux qualités physiques ou mentales des individus ; l'autre à leurs
droits sociaux et juridiques. La première relève de la biologie et de l'éducation
; la seconde de la morale et de la politique. L'égalité n'est pas un concept biologique.
On ne dit pas que deux molécules ou deux cellules sont égales. Ni même deux
animaux, comme l'a rappelé George Orwell (1). C'est bien sûr l'aspect social et
politique qui est l'enjeu de ce débat, soit qu'on veuille fonder l'égalité sur
l'identité, soit que, préférant l'inégalité, on veuille la justifier par la
diversité. Comme si l'égalité n'avait pas été inventée précisément parce que les êtres humains ne sont
pas identiques. S'ils étaient tous aussi semblables que des jumeaux
univitellins (2), la notion d'égalité n'aurait aucun intérêt. Ce qui lui donne
sa valeur et son importance, c'est la diversité des individus ; ce sont leurs
différences dans les domaines les plus variés. La diversité est l'une des
grandes règles du jeu biologique. Au fil des générations, ces gènes qui forment
le patrimoine de l'espèce s'unissent et se séparent pour produire ces
combinaisons chaque fois éphémères et chaque fois différentes que sont les
individus. Et cette diversité, cette combinaison infinie qui rend unique chacun
de nous, on ne peut la surestimer. C'est elle qui fait la richesse de l'espèce
et lui donne ses potentialités. [...] Chez les êtres humains, la diversité
naturelle est encore renforcée par la diversité culturelle qui permet à
l'humanité de mieux s'adapter à des conditions de vie variées et à mieux
utiliser les ressources de ce monde. Mais dans ce domaine pèse la menace de la monotonie,
de l'uniformité et de l'ennui. Chaque jour s'amenuise cette extraordinaire variété
qu'ont mise les hommes dans leurs croyances, leurs coutumes, leurs
institutions. »
François Jacob (1920-2013) Le Jeu des
possibles, 1981
Biologiste et philosophe français contemporain. Prix Nobel.
(1) Essayiste et romancier anglais (1903-1950). Dans la République des animaux, allégorie inspirée de Swift, il s'en prend au régime de dictature prolétarienne, où «tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres». (2) Jumeaux nés du même oeuf.
Biologiste et philosophe français contemporain. Prix Nobel.
(1) Essayiste et romancier anglais (1903-1950). Dans la République des animaux, allégorie inspirée de Swift, il s'en prend au régime de dictature prolétarienne, où «tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres». (2) Jumeaux nés du même oeuf.
Document 5 : De l’utilité de la diversité des manières d’êtres
afin de pouvoir relativiser ses propres données culturelles et individuelles.
« Il
est bon de savoir quelque chose des moeurs de divers peuples, afin de juger des
nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre
nos modes soit ridicule, et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux
qui n’ont rien vu. »
René Descartes (1596-1650) Discours de
la méthode, 1637
Document 6 : La diversité comme exaltation de l’existence.
Hommage à Victor Segalen (1878-1919) qui fut poète, médecin de marine,
ethnographe et archéologue français. Après des études de médecine à l'École du
service de santé des armées de Bordeaux, l'officier-médecin est affecté en
Polynésie française. Il n'aime pas la mer, ni naviguer mais débarquer et
découvrir. Il séjourne à Tahiti en 1903 et 1904. Lors d'une escale aux îles
Marquises, il a pu acheter les derniers croquis de Gauguin, décédé trois mois
avant son arrivée, croquis qui seraient, sans lui, partis au rebut. Il rapporte
en métropole un roman, les Immémoriaux (1907), un journal et des essais sur
Gauguin et Rimbaud qui ne seront publiés qu'en 1978.
Conseil au bon voyageur
« Ville au bout de la route et route prolongeant la
ville : ne choisis donc pas l’une ou l’autre, mais l’une et l’autre bien
alternées.
Montagne
encerclant ton regard le rabat et le contient que la plaine ronde libère. Aime
à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à
plat.
Repose-toi
du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux,
si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu’à la foule.
Garde
bien d’élire un asile. Ne crois pas à la vertu d’une vertu durable : romps-la
de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi,
sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras,
non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais
aux remous pleins d’ivresse du grand fleuve Diversité. »
Victor Segalen (1878-1919 ) Stèles,
1912 ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Sources :
ÉLOGE DE LA DIFFÉRENCE, CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Association ALDÉRAN Toulouse pour la promotion de la Philosophie