Parmi nous, il y en a qui, aujourd’hui, par légers
effleurements de leurs doigts sur un écran tactile, interagissent avec le monde
entier alors que, tout jeunes, c’est en charrette à cheval qu’ils se rendaient
au bourg du village pour le marché hebdomadaire.
C’était il y a seulement quelques décennies, et pourtant
nous vivions alors dans un tout autre monde que le monde actuel, au point que
nous n’en finirions pas de décliner les contrastes entre ces deux mondes. Mais il n’y a eu ni tremblement de terre, ni impact d’une
météorite, ni tout autre cataclysme, pour rendre compte d’un tel bouleversement
de nos existences. C’est donc bien d’« évolution » dont il s’agit.
Or, nous savons que l’ensemble des espèces vivantes – et donc l’espèce humaine – sont « prises »
dans les processus d’évolution selon certaines lois qui ont été progressivement
mises à jour par les scientifiques (en particulier Darwin) depuis le XIXème
siècle.
Ces lois sont des lois d’adaptation du vivant à un
environnement inédit par modifications de caractères communs aux individus,
modifications qui s’inscrivent dans leur patrimoine génétique.
Sommes-nous ainsi modifiés depuis une soixantaine d’années,
ou sommes-nous en voie de l’être ?
Mais la question ne prend toute son ampleur que si nous remarquons
que c’est nous, humains, qui sommes, par nos choix de comportement, le
principal facteur de cette évolution accélérée de notre environnement. Cela
semble signifier que nous ne sommes pas simplement déterminés, comme les autres
espèces, par les contraintes de notre environnement et les mécanismes
d’adaptation qui y répondent.
Ne faut-il pas alors penser l’évolution de l’espèce humaine
au-delà des lois qui ont été dégagées pour l’ensemble du monde vivant ?
N’y a-t-il pas à prendre en compte, dans la pensée de notre évolution, les
prodigieux progrès techniques par lesquels nous transformons la planète ?
Mais une composante récente du progrès technique est la
capacité de modifier, presque aussi aisément qu’un texte dans un traitement de
texte, le génome d’un individu vivant. Cela signifie que l’évolution du vivant
relève aussi, désormais, des choix des hommes, lesquels sont tributaires des
institutions auxquelles ils participent et, finalement, de l’état de la culture
à laquelle ils appartiennent.
N’allons-nous pas vers une crise des théories de l’évolution
qui deviendront impuissantes à comprendre et à prévoir si elles ne prennent pas
en compte le problème de l’évolution culturelle des hommes ?
Pierre Jean DESSERTINE, philosophe