Pierre Koest Café philo du 9/11/2021



IMMUNITÉ, BIOPOUVOIR, TRANSHUMANISME

PENSER LA VIE EN PANDÉMIE


Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre le débat :

prlkoest@hotmail.com

Aborder en ce moment un thème touchant à la COVID est risqué, car depuis le début de 2020 cette pandémie a suscité tellement de commentaires et de polémiques qu’il est normal que nous en soyons lassés. Un événement, disait Jacques Derrida, c’est ce qui survient soudainement, et que nous avons de la difficulté à cerner, à faire rentrer dans le cadre de nos propos habituels, d’où l’effet de sidération.: « Que se passe-t-il, j’y comprends rien, y avait une ville et y a plus rien » chantait Nougaro, à propos du bombardement d’Hiroshima… Devant la nouveauté de l’événement, les médias répondent toujours à l’incompréhension de la même manière, par une répétition d’images en boucle, une avalanche de commentaires contradictoires qui ne font qu’attester ce qui se passe sans l’expliquer, et propagent en général une terreur incontrôlée. Puis, une fois le premier choc passé, certains entrent dans une phase de déni : « - dans le fond, ce n’est pas si grave comparé à d’autres catastrophes », mais la plupart adoptent une posture de résignation, « on n’a pas le choix, il faut se protéger », voire de « résilience » pour employer le concept qui fait la fortune de Boris Cyrulnik.

Il n’empêche que nous n’avons toujours pas pris la mesure de la COVID, qu’on aurait tort de considérer comme un événement purement sanitaire ou médical, puis qu’il touche pratiquement la totalité des secteurs de notre existence : on pourrait dire, et pas seulement métaphoriquement qu’il « contamine » tout. C’est cette propagation d’un problème, au départ strictement sanitaire, à tous les secteurs de notre vie qui nous intéresse ici : notre vie « en » Pandémie, la vie avec la COVID, autrement dit les répercussions de cette crise sanitaire sur notre vie individuelle et collective., Nous ne commenterons pas sinon de manière anecdotique, la gestion de la crise par nos gouvernants, ni ne porterons de jugement d’ordre médical sur les mesures qui ont été prises, par exemple le bien-fondé de la vaccination ou les préférences qu’il s’agirait d’accorder à tel ou tel type de vaccin, comme on peut préférer telle ou telle lessive qui lave plus blanc ; il ne sera non plus question de polémiquer sur le feuilleton de l’hydroxychloroquine, pour la bonne raison que nous ne sommes pas spécialistes de ces questions, au demeurant pertinentes. Il nous semble plus important de prendre du recul, et de réfléchir sur l’impact général de la crise dans nos vies personnelles et nos vies de citoyens, à partir de trois concepts: l’immunité, le biopouvoir, et le transhumanisme.

1. L’IMMUNITÉ ET LA VIE

Anne-Marie Moulin, Médecin et philosophe1, remarque qu’au début de ses recherches sur l'immunité et l'immunologie, personne ne s'y intéressait, alors qu’aujourd’hui, «  n'importe lequel d’entre nous parle de l'immunité, et même du système immunitaire.  C'est devenu une notion commune, mais ce que chacun met derrière ce mot est évidemment très loin de l'histoire du terme "immunité" ».


1.1. Divorce entre les représentations du grand public et les leçons de la recherche scientifique.


- Le sens d’immunité, au sens courant: l’« immunité est conçue comme «  ensemble de mécanismes de défense d'un organisme contre les éléments étrangers, en particulier les agents infectieux (virus, bactéries ou parasites) ». L’immunité ressemble à un « geste-barrière », elle est censée établir un mur entre un ennemi supposé extérieur, pour protéger l’identité de l’organisme comme à l’intérieur d’une forteresse, par opposition à ce qui n’est pas lui. Le système immunitaire serait un service d’ordre chargé d’identifier un “ennemi“, qu’il s’agirait :


- soit d’éradiquer, en l’attaquant avant qu’il ne pénètre à l’intérieur du « soi » perçu naïvement comme ce qui est limité par la peau : gels hydro-alcooliques et désinfectants de tous ordres deviennent des “armes de destructions massives”, si l’on en croit des pubs qui promettent “d’éliminer les bactéries et virus à 99%” !

- soit de neutraliser, d’empêcher de nuire, lorsque l’ennemi s’est infiltré dans la forteresse, de force ou par ruse, en passant outre toutes les barrières réelles ou symboliques (peau, masques, gestes dits de « distanciation sociale », etc.)


La manière dont l’opinion commune se représente à la fois le virus et l’immunité se situe nettement dans le champ sémantique de la guerre, de la lutte contre l’ennemi que serait la maladie2. Et les métaphores guerrières se sont multipliées pendant la crise de la pandémie : On a répété qu’il fallait en « finir » avec le COVID, de même qu’en période de guerre certains rêvent d’exterminer totalement l’ennemi. Marie Moulin (ibid.) note : « Je crains qu’aujourd’hui ce soit la guerre, la guerre contre le virus, qui soit l’idée privilégiée: c’est un langage que le président lui-même a tenu, tout au moins au début de la pandémie. Quelque part, l’immunité, c’est l’appréhension d’une fonction dans l’organisme, une fonction de défense contre les microbes alentour. Il y a là certainement quelque chose qui ne satisfait pas les immunologistes. »


- Pour comprendre ce désaccord, il faut revenir très rapidement sur l’histoire de l’immunologie 3 :


a) Au départ il y a l’idée d’un privilège  qui fait que l'on n'est pas malade, alors que les autres autour de nous le sont. Ce privilège peut être inné ou acquis naturellement à la suite d'une maladie. (...) Quand on a eu la rougeole, on a le privilège de ne pas l’attraper deux fois. Il y a une mémoire qui dure toute la vie.


b) Arrive Pasteur grâce à qui ce privilège devient la chose au monde la mieux partagée.  Une révolution démocratique en quelque sorte, la nuit du 4 août, l’abolition des privilèges : si le privilège est celui de tous, il n’y a plus de privilège. Avec seulement cinq vaccins, Pasteur élabore un principe, à partir duquel il a cru pouvoir prédire l’éradication des maladies ! Mais les choses sont beaucoup plus complexes :


c) Découverte d’une immunité qui ne concerne pas seulement des microbes extérieurs (Steiner), mais peut par exemple s’exercer contre des cellules de son propre organisme. Cela ouvre des perspectives dangereuses, mais aussi prometteuses : possibilités de traitement contre le cancer.


On le voit, la recherche en immunologie, comme en toute science, progresse en se libérant de l’opinion, de la perception commune, comme le montrait Bachelard : « La science s’oppose à l’opinion . L’opinion pense mal, elle ne pense pas. Avant tout, il faut savoir poser les problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. 4» .

Ce qui est remis en question dans l’évolution de l’immunologie, c’est le sens « préscientifique » que revêt l’étymologie, hérité du Droit romain : l’immunitas : l’exemption, le droit de bénéficier d'une dérogation à la loi commune, le privilège. C’est ce sens qui induit une idée de protection, d’un mur, d’une forteresse qui sépare, qui discrimine l’intérieur de l’extérieur – par exemple, qui distingue l’agent pathogène de l’organisme, le même de l’autre, le propre de l’impropre, le membre de la communauté de l’étranger etc.-

La recherche scientifique se démarque de cette représentation commune de l’immunité sur trois points :


a) l’ « ennemi » n’est pas forcément « extérieur » ou « intérieur ». Le système immunitaire peut repérer tout type d’agents pathogènes ou non, extérieurs ou non à l’organisme. Il n’est ni bon ni mauvais, il peut être les deux : « l’immunité peut-être pathogène, avec l’allergie, ou toutes sortes d’hypersensibilité : Il y a la maladie hémolytique du nouveau né5, il y a l’auto-immunité, : le système peut voir aussi des cellules normales, et aussi des cellules normales de soi-même : et quand par exemple il s’attaque dans le pancréas aux cellules qui fabriquent de l’insuline, cela fait un diabète de type 1, ce qui n’est pas sans poser de graves problèmes. 6»


b) Avec l’immuno-pathologie des années 90, on découvre que le système immunitaire produit des équilibres fragiles, faits d’une suite de déséquilibres permanents, qui peuvent déboucher sur un état de santé ou de maladie, mais qui ne sont jamais stables. « C’est difficile à admettre, remarque Anne Marie Moulin7,  mais notre système immunitaire est constamment en évolution, et par conséquent on ne peut complètement se fier à lui. ll a troublé les immunologistes depuis le début, et ils lui font pourtant confiance, notamment quand on immunise des populations toutes entières. […] Au passage, note Anne-Marie Moulin, “si le système immunitaire nous protégeait parfaitement, , cela voudrait dire que nous serions immortels. Finalement, pourquoi mourrons-nous ? C’est parce qu’à un moment donné, un déséquilibre se produit“.

Ce point révèle que dans la manière dont nous fantasmons l’immunité, se cache le plus vieux rêve de l’humanité, celui de l’épopée de Gilgamesh, l’immortalité,  qui est en fait le summum de l’immun : l’idée du parfaitement « sauf », du salut éternel, de la salvation de tout risque, de tout ennemi. Nous sommes dans le champ du religieux. Ce rêve provient peut-être de ce que nous sommes des vivants qui pouvons envisager la possibilité de notre mort, comme le signifie Heidegger dans l’expression « être-pour la mort » (Sein zum Tode)8. Mais paradoxalement, on peut voir en ce rêve d’immunité et de vie éternelle un rêve de mort, car que serait une vie qui ne serait pas confronté aux dangers extérieurs, à l’altérité ? «  Vivre, c’est être en danger »9, les immunologistes retrouvent à leur manière cette affirmation nietzschéenne.

c) 3ème désaccord des immunologistes avec l’opinion commune : le système immunitaire ne remplit pas une fonction déterminée, préétablie, il n’a pas de finalité , il n’est pas là, fabriqué à l’avance par un dessein de la nature, pour la protection de l’organisme. « À partir du moment où on parle de fonction, on est dans la pensée finaliste. On pense qu’on a des yeux pour voir, et non qu’on voit parce qu’on a des yeux, qui se sont construits dans une relation avec le monde 10»


L’immunité selon la recherche actuelle, c’est donc tout le contraire d’une barrière qui nous protégerait d’un ennemi toujours étranger, extérieur, en nous coupant, en nous isolant de lui. L’immunité se transforme, elle s’adapte sans cesse par des échanges avec le milieu extérieur, et non en se coupant de lui. Même s’ils paraissent utiles dans l’urgence, les « confinements », les murs de Berlin n’ont au fond jamais résolu les problèmes ; les lignes Maginot sont toujours poreuses et il ne faut pas le déplorer : l’adaptation des organismes vivants suppose un échange, une relation, une confrontation avec ce qui menace leur survie ou non. C’est ainsi que fonctionne le système immunitaire.

Cependant, si le concept d’immunité comme barrière de protection est contesté par la recherche scientifique, il se répand à large échelle sur les plans politiques, idéologiques, sociétaux, dans une “contamination” qui n’est pas sans danger.

1.2. Les dérives de l’immunité. 

Les concepts peuvent émigrer d’un domaine à l’autre, et prendre des sens différents selon le champ dans lequel ils sont transplantés. Celui d’ « immunité », occupe aujourd’hui une place centrale dans notre vie collective. C’est ce que montre le philosophe Roberto Esposito dans un ouvrage prophétique, un an avant le surgissement de la crise de la COVID19.11

a) « Le désir immunitaire s’est progressivement étendu à tous les secteurs et tous les types de discours de notre vie, jusqu’à devenir le point de fixation, réel et symbolique, de l’expérience contemporaine. 12» Cela était déjà visible lors la propagation du SIDA, qui a entraîné des conséquences considérables en termes de normalisation 13 , d’assujettissement à des normes précises, et pas seulement sanitaires : le cauchemar de la maladie a induit des barrières qui ont bouleversé les rapports sexuels, amoureux, sociaux, politiques, par la peur de la contamination et les rêves immunitaires qu’elle a fait naître, avec en contrepartie l’exclusion ou la stigmatisation des populations supposées à risques (homosexuels, toxicomanes, noirs, etc.). D’une autre façon, cela est vrai aussi pour la COVID :

b) Tout se passe comme si ce n’était plus seulement d’un virus qu’il fallait se protéger, mais d’autrui, même dans des lieux où on s’y attendrait le moins. Il m’a été rapporté récemment que, lors de la messe dominicale de Manosque, sur des écrans diffusant des textes liturgiques à l’usage des malentendants, on pouvait lire aussi ce curieux message, mêlé de pictogrammes de masques et gestes-barrière : « PROTÉGEONS-NOUS DES AUTRES EN PROTÉGEANT LES AUTRES DE NOUS-MÊMES ! » Ce n’est plus le virus qui est dangereux et contagieux, c’est nous-mêmes, et c’est autrui ! Difficile de trouver dans le contexte d’un office dominical chrétien une antithèse plus flagrante au message du nazaréen qui allait vers les lépreux et qui revenait ensuite vers les gens dits « sains » annoncer la proximité de son « Royaume », au mépris de tout geste-barrière !14 Cela n’a pas paru gêner outre mesure le clergé, qui pour pouvoir reprendre le rituel dominical après le confinement, a dû accepter un certain nombre de mesures sanitaires dont nous ne remettons pas en cause l’utilité. Constatons simplement avec Esposito, que le concept d’immunité (et de la contamination dont il s’agit de nous protéger) est lui-même contaminant, en particulier dans la vie sociale.

c) De l’immunité à la xénophobie et à la peur de l’immigré.

Le lexique de l’immunité et de la contamination témoigne d’une certaine porosité entre le domaine des maladies infectieuses et le domaine social de l’immigration : la campagne présidentielle qui s’annonce en donne déjà quelques relents nauséabonds, déjà prédits par Roberto Esposito en 2019 :

« Qu’un flux migratoire en augmentation soit considéré, complètement hors de propos, comme un des dangers majeurs que courent nos sociétés, est une indication, dans ce domaine-là, du rôle central que joue la question immunitaire. De nouvelles barrières […] surgissent de partout. C’est comme si la peur d’être frôlé – même par inadvertance – s ‘exaspérait. Le contact, la relation, l’être en commun semblent immédiatement se rompre devant le risque de la contamination15. »16,

Ce qui relève du strict domaine sanitaire a ainsi des répercussions considérables sur la manière dont nous pensons et vivons notre vie. Aujourd’hui, la diminution massive des bises, baisers, et même poignées de main qu’entraîne l’injonction de « gestes-barrière, ou de « distanciation sociale », trouve une étrange résonnance avec des réflexes de méfiance envers l’autre : manifestations de xénophobie, de racisme, crainte devant la soi-disant « prolifération » - quasi épidémiologique - d’étrangers ou personnes « issues de l’immigration », considérés comme n’appartenant pas la communauté. Qu’est-ce donc qui constitue une « communauté » ?


d) Communauté et immunité : vers une logique anti-démocratique

Communauté vient de “communitas” : “cum” (avec, ensemble) et “munus” : tâche, devoir, loi, mais aussi don, don à faire et non à recevoir, et donc obligation. Les membres de la communauté ne sont tels que parce qu’ils sont liés par un munus : une loi commune, des devoirs, ce qu’ils doivent donnent d’eux-mêmes à la communauté. Cela veut dire que, selon son étymologie, la communauté ne préexiste pas à ses membres, même si elle est toujours-déjà là, elle n’existe qu’en même temps qu’eux, par l’exigence et le don mutuel du munus.


Pour illustrer cela, prenons l’exemple de notre communauté nationale, la France, que l’on peut penser de deux manières totalement différentes:


  1. il y aurait une France, faite de toute éternité, qui perdurerait par delà les générations, et à laquelle il faudrait que chacun, qu’il soit « de souche » ou non (comme s’il y avait une « souche », une pureté de la « race » ou de l’ « esprit » français !) s’ «intègre » ou s’ « assimile ». Cette conception « communautariste », très prégnante outre atlantique gagne aussi du terrain en Europe, où « communauté » signifie de plus en plus repli identitaire sur des valeurs soi-disant « propres » à un groupe, qu’il s’agit de défendre bec et ongles, avec des anticorps ou des murailles, contre ceux qui pour des raisons diverses ne sont pas perçus comme membres à part entière de la communauté, donc étrangers, étranges virus ou “étranges étrangers”, comme disait Prévert17.


  1. La France peut être au contraire conçue comme une construction permanente, collective, que chacun des membres de la communauté élabore à chaque fois différemment au cours de l’histoire, par la reconnaissance d’un munus commun : une dette, un devoir, l’exigence d’inventer un art de vivre avec l’autre. Autrement dit, ce ne sont pas des habitus culinaires, religieux, ou culturels particuliers qui pourraient suffire à définir la francité des français, mais le fait qu’ils aient en commun un munus, la reconnaissance d’un devoir de coappartenance à « la France », ce qui est tout le contraire d’une particularité communautaire (comme manger du porc, boire du vin, avoir un certain type de prénom, références immunisantes destinées à se protéger et à exclure d’autres français ne partageant pas ces particularités). Cela n’exclut pas la constitution d’une légende, d’un récit national, d’une histoire dans laquelle les français pourraient se reconnaître, mais cela veut dire que cette unité dans l’exigence de communauté est toujours à refaire, on le voit bien avec les relectures féministes ou post-colonialistes de l’histoire. On retrouve le sens de l’immunité vu plus haut (par les chercheurs), une immunité ouverte sur des échanges avec l’extérieur, pour parvenir à un équilibre toujours susceptible d’être remis en question. Dans ce type de communauté, nous existons ensemble depuis toujours, mais seulement sur le mode d’un devoir être, pas dans un ensemble préétabli. Finalement, ce que nous avons en commun, c’est le manque de commun, c’est d’être tous différents, et c’est cela qui crée l’exigence de communauté.  La communauté est paradoxalement ce qui est nécessaire et en même temps impossible.


La logique immunitaire s’oppose radicalement à ce sens de « communauté ». L’im-munitas, c’est l’idée d’une exemption de la loi commune, le fait de ne plus avoir à obéir à ce munus qui est constitutif de la communauté. L’immunité, qu’elle soit celle des grands seigneurs vis-à-vis du pouvoir royal, ou l’immunité présidentielle ou parlementaire (qui exempte de recours judiciaires certaines catégories de citoyens), fonctionne toujours comme un privilège dont bénéficie une partie d’un ensemble et dont est exclu une autre. C’est ce qui se passe dans la manière dont on présente le vaccin aujourd’hui : comme une sorte de « passe-droit » immunisant, protégeant ceux à qui on l’a administré de la maladie mais aussi des autres : le « pass(e) », qui, quelle soit sa légitimité sanitaire, privilégie certains citoyens (cf les pubs disant qu’avec lui on peut tout faire « comme avant » : restaurants, matchs, activités culturelles), et en quelque sorte les immunise des non-immunisés, lesquels seront culpabilisés et taxés d’obscurantisme (catégorie où se retrouvent ironiquement nombre de soignants anti-vaccins, qui auraient pourtant une certaine légitimité professionnelle à parler de santé.).


Barbara Stiegler, dans « De la démocratie en pandémie » a tiré la sonnette d’alarme, en montrant que la volonté d’immunité dans une « guerre » contre la Pandémie peut être destructrice de la démocratie :

« La démocratie, en Pandémie, est devenue un objet discutable. “Les Français vont devoir accepter de vivre à distance les uns des autres et apprendre la discipline indispensable à la survie du groupe”, prévenaient dès le mois de mars les chroniqueurs, prenant en exemple ce qu’ils appelaient “le civisme des asiatiques”».18 

« En pandémie, la démocratie est désormais disqualifiée comme une survivance dangereuse, à laquelle il faudrait se préparer à renoncer. Devant ce qu’ils appellent « l’explosion inquiétante des contaminations », […] nous n’aurions absolument plus le temps de débattre ni de délibérer.19 »

Comment en est-on arrivé là ? Esposito répond : c’est que « la démocratie moderne parle un langage opposé à celui de la communauté, dans la mesure où elle a de plus en plus intégré une volonté immunitaire. »20 Celle-ci pousse la démocratie vers une loi (munus), qui ne serait plus communis, commune aux citoyens mais qui serait décidée à l’avance, pour eux mais sans eux, par des gouvernants jouissant pour le coup d’une immunité totale… Une communauté où une oligarchie déciderait à la place des autres ce qui est bon, sain, sûr, immun, exempt de risque, et imposerait ses choix, au détriment de la liberté et du débat, mais au nom d’un supposé bonheur de tous. Est-ce bien ce type de communauté que nous voulons ? Si oui, nous nous rapprocherons d’un meilleur des mondes à la Huxley, un totalitarisme consenti. Il serait exagéré d’affirmer que nous y sommes déjà, mais les ingrédients en sont perceptibles, en particulier cette collusion savoir-pouvoir que repère Barbara Stiegler21 :

« La décision du confinement a révélé la conception profonde que le pouvoir se faisait du dêmos […] Ignorante et aveugle, la démocratie devait avouer son inexpérience et s’en remettre aux sachants, c’est-à-dire ici aux dirigeants », qui prétendent savoir mieux l’intérêt de ceux qu’ils dirigent qu’eux-mêmes, ce qui est le leit-motiv de toute infantilisation : “C’est pour ton bien”. Tout n’est pourtant pas le fait d’un complot machiavélique et dictatorial, note ironiquement Barbara Stiegler : «ce serait sans doute prêter beaucoup de rationalité a un pouvoir qui en a été singulièrement dépourvu. À l’opposé de l’intelligence tactique, il faut plutôt aller chercher du côté de la peur, qui est souvent le mobile principal des grandes défaites. Ce gouvernement, qui va se mettre à gouverner systématiquement par la peur dès le début de la crise, a été lui-même, gouverné par la peur. Par la peur panique du virus bien sûr, mais aussi par celle de la révolte sociale. »22


Pour conclure sur ce point, on voit que le désir d’immunité conduit à un paradoxe, que signale Giorgio Agamben : « comme face au terrorisme, on affirmait qu'il fallait supprimer la liberté pour la défendre, de même on nous dit aujourd'hui qu'il faut suspendre la vie pour la protéger ». Le désir d’immunité, la peur de la maladie nous ont poussés à fermer tous les espaces où un débat démocratique ou au moins une information sérieuse des citoyens eût été nécessaire. Au nom de l’immunité, l’urgence de la survie a éclipsé la vie elle-même.

L’histoire présente est-elle pour autant, sous l’emprise de la peur, une improvisation qui n’a ni queue ni tête, est-elle dénuée de toute rationalité ? Non, si l’on songe que, par delà l’écume de l’histoire, et les atermoiements d’un gouvernement, il est possible de repérer des lignes de forces, des mises en place progressives de logiques souterraines, qui s’effectuent dans des temps relativement lents.


2. LE BIOPOUVOIR AU SERVICE DE LA VIE ?

Michel Foucault a consacré une partie de ses recherches à l’histoire de la santé, et remarque que celle-ci se dirige de plus en plus vers une gouvernementabilité des corps. C’est précisément cela le bio-pouvoir : un pouvoir qui s’exerce sur la vie de chacun et de tous, et en principe pour cette vie.


Au départ sous l’Empire romain, « l’un des privilèges23 caractéristiques du pouvoir souverain était le droit de vie et de mort.  Sans doute dérivait-il du droit [qu’avait le père de famille romain] de « disposer » de la vie de ses enfants comme de celles des esclaves : Il la leur avait “donnée”, il pouvait la leur retirer.24». Ce droit exorbitant était surtout appliqué par le souverain en temps de guerre, pour «  demander à ses sujets de prendre part à la défense de l’État »; il lui était licite d’« exposer leur vie » : en ce sens, il exerçait sur eux un droit « indirect » de vie et de mort. 25» « Ce droit dissymétrique, c’était « le droit de faire mourir ou de laisser vivre. Après tout, il se symbolisait par le glaive ».26


Mais, dit Foucault, « l’Occident a connu depuis l’âge classique une très profonde transformation de ces mécanismes du pouvoir. […] Le pouvoir va se consacrer à produire des forces, à les faire croître, et à les ordonner, plutôt que, les faire plier ou à les détruire. Le pouvoir de faire mourir va devenir un « pouvoir qui gère la vie. 27».

C’est cela le biopouvoir, un pouvoir qui s’exerce sur la vie, et qui prétend tirer sa légitimité de ce qu’il œuvre pour la vie. Mais cela ne signifie pas pour autant la fin des guerres, c’est simplement leur sens qui change : « Les guerres ne se font plus au nom du souverain qu’il faut défendre ; elles se font au nom de l’existence de tous ; on dresse des populations entières à s’entre-tuer réciproquement au nom de la nécessité pour elles de vivre. […] Si le génocide est bien le rêve des pouvoirs modernes, ce n’est donc pas par un retour aujourd’hui du vieux droit de tuer ; c’est parce que le pouvoir s’exerce au niveau de la vie, de l’espèce, de la race et des phénomènes massifs de population. » 28


On voit mieux maintenant comment le langage médical de l’immunité peut déteindre sur la sphère sociale et politique : ce qui a lieu au niveau d’un organisme qui développe des défenses immunitaires pour sa survie, se passe maintenant au niveau collectif d’une communauté, d’une nation, et peut-être même de notre planète dite globalisée. Le rôle du pouvoir moderne, est devenu immense, il a la responsabilité de veiller à la vie et la « santé » du corps politique comme totalité, ce qui ne va évidemment pas sans risque de totalitarisme. Foucault montre que cette évolution passe par « une histoire, non des mentalités, mais des corps »29 :


1° Le corps comme machine est dressé par des disciplines, Ces formes de dressage, de mécanisation du corps passent par l’école, les hôpitaux, les asiles psychiatriques, les casernes, les prisons, etc…


2° Le corps-espèce, le corps traversé par des processus biologiques (milieu du XVIIIe siècle) : on va s’intéresser aux naissances et la mortalité, au niveau de santé, à la durée de vie, la longévité, avec toutes les conditions qui peuvent les faire varier ; se met en place toute une série d’interventions et de contrôles régulateurs : on a affaire à une bio-politique de la population. 30» C’est le règne des statistiques, les mêmes dont on nous inonde depuis le début de la pandémie comme effets de véridiction31. Pourquoi un tel intérêt du pouvoir pour la vie des membres de la nation ? Moins par philanthropie, que parce que la démographie et la santé publique deviennent des facteurs économiques primordiaux : « Ce biopouvoir a été, à n’en pas douter, un élément indispensable au développement du capitalisme ; celui-ci n’a pu être assuré qu’au prix de l’insertion contrôlée des corps dans l’appareil de production et moyennement un ajustement des phénomènes de population aux processus économiques.  […]. L’investissement du corps vivant, sa valorisation et la gestion distributive de ses forces ont été à ce moment-là indispensables.32»


Pour nous, qui vivons aujourd’hui « en Pandémie 33», il est aisé de voir que la biopolitique actuelle est bien dans la ligne de ce que dit Foucault : la gestion de la pandémie est « ce qui fait entrer la vie et ses mécanismes dans le domaine des calculs explicites et fait du pouvoir-savoir un agent de transformation de la vie humaine.34 ». L’imposition d’un confinement, de gestes barrières, d’une vaccination de masse à des citoyens qui, au départ, n’y étaient pas forcément favorables, exige le renforcement d’un tel biopouvoir, dont l’emprise acquise sur la vie et la santé collective semble irréversible. Toute la question est de savoir si ce biopouvoir s’exerce sur tous de manière égalitaire, et s’il est compatible ou non avec le désir de démocratie qui subsiste encore chez certains, au moins dans notre pays. Nous sommes devant une alternative :


- Ou bien, comme le souhaite Barbara Stiegler, on développe le partage démocratique d’un biopouvoir, en donnant aux citoyens le minimum d’information nécessaire et les moyens de la comprendre, pour qu’ils puissent participer aux décisions qui les concernent au premier chef dans leur vie individuelle,: « […] En ouvrant en grand nos institutions à tous les citoyens qui, comme nous, sont convaincus que le savoir ne se capitalise pas, mais qu’il s’élabore ensemble et dans la confrontation conflictuelle des points de vue, nous pourrions peut-être contribuer à faire de cette « pandémie », mais aussi de la santé et de l’avenir de la vie, non pas ce qui suspend, mais ce qui appelle la démocratie. »35


- Ou bien – position de la plupart des gouvernements - on se borne à constater que le discours scientifique et biopolitique n’est compréhensible que par une élite, qui prétend détenir le savoir (ce que les scientifiques dignes de ce nom ne font pas) et en fait un argument de pouvoir, de coercition ou de chantage. Cette érosion démocratique est peut-être limitée en France, mais dans le monde, on peut, sans être paranoïaque, complotiste ou conspirationniste, s’inquiéter du déclin des libertés : la crainte de la mondialisation exacerbe la montée des nationalismes, des biopolitiques immunitaires se mettent en place de manière dictatoriales, au nom d’un bien supposé commun : « America First !» Mais c’est surtout la peur commune - de la maladie ou de l’autre, l’étranger, qui risque d’hypertrophier le besoin de sécurité et de soumission. L’éclosion de « démocratures » et de dirigeants comme Donald Trump, Jair Bolsonaro, Resep Tayyip Erdogan, Vladimir Poutine ou Xi Jin Ping est un symptôme qui devrait nous faire dresser l’oreille. Et en amont, le souvenir de l’instrumentalisation du biopouvoir par le nazisme allemand ne devrait pas être considéré comme de l’histoire ancienne, ou même oublié, car s’il est probable que l’histoire ne se répétera pas sous une telle forme, la logique qui l’a produite reste à l’œuvre dans les crises que nous vivons aujourd’hui.

Le nazisme est particulièrement intéressant à examiner, comme le lieu où les deux concepts d’immunité et biopouvoir se rejoignent parfaitement : la logique d’exception immunitaire qui referme une communauté sur elle-même, qui l’isole (Deutschland über Alles36) pour la défendre en exterminant l’ennemi qui a été identifié et rejeté (comme il y a rejet d’une greffe37, ou lutte contre un microbe) rejoint une biopolitique fondée sur la race, et le sang38. Cette conjonction du sanitaire et du biologique/politique permet d’interpréter le nazisme comme une véritable pathologie immunitaire : l’accroissement de la peur de l’autre, du non identique, du contaminant, pousse à éliminer à l’intérieur même de la communauté des mythiques “allemands aryens” ce qui reste d’altérité ennemie : extermination des juifs, mais aussi des homosexuels, des tziganes, des communistes, et… des nazis eux-mêmes, ( par ex. dans la “nuit des longs couteaux”, etc.). Le corps politique développe un syndrome auto-immunitaire, dans lequel il s’attaque lui-même, comme le fait un cancer. Dans la course à la pureté et à l’immunité, rien n’est plus jamais à l’abri d’un reste de contagion, l’élimination n’a plus de fin : À cet égard, « ¡Viva la muerte ! », le cri de ralliement franquiste, à l'origine cri de guerre de la Légion espagnole, peut aussi parfaitement convenir au Reich hitlérien.

Esposito le voit clairement : [Dans le nazisme] « seule l’immunisation fait apparaître clairement le nœud mortifère qui relie la protection de la vie à sa négation potentielle. L’image de la maladie auto-immune montre que l’appareil protecteur peut se retourne contre le corps même qu’il devrait protéger, et le fait exploser. […] la spécificité du nazisme est d’ailleurs prouvée par la nature du mal particulier contre lequel il entendait défendre le peuple allemand. Il ne s’agit pas d’une maladie quelconque, mais d’une maladie infectieuse. Ce qu’il fallait éviter à tout prix, c’était que des êtres « supérieurs » soient contaminés par des êtres « inférieurs ». […] On connaît le répertoire que les idéologues du Reich ont utilisé pour représenter leurs prétendus ennemis et, avant tout, les juifs : ils sont, tour à tour et simultanément, des «bacilles », des « bactéries », des « virus », des « parasites », des « microbes 39».

C’est comme si ce qui, jusqu’à un certain moment, était resté une pesante métaphore avait pris corps. C’est le résultat de la complète biologisation du lexique qui faisait dire : Les juifs ne ressemblent pas à des parasites, ils ne se comportent pas comme des bactéries – ils le sont. Et ils sont traités comme tels. Voilà pourquoi le terme juste pour désigner leur massacre n’est pas « holocauste », qui renvoie au sacré, mais « extermination » : exactement ce que l’on fait aux insectes, aux rats, ou aux poux. […] « Éloigner les poux n’est pas une question idéologique, c’est une question de propreté ». Hitler déclarait :« La découverte du virus juif est l’une des plus grandes révolutions dans ce monde ; la bataille de tous les jours dans laquelle nous sommes engagés est du même ordre que celle menée au siècle dernier par Pasteur et Koch. […] Nous ne recouvrerons notre santé qu’en éliminant les juifs40.» [183]

Comme pour la maladie auto-immune la plus dévastatrice, le potentiel défensif du système immunitaire augmente au point de se retourner contre lui-même. La seule issue possible, c’est la destruction généralisée. 41


Nous pourrions nous consoler en songeant qu’en Europe nous avons laissé derrière nous le champ de ruines du national socialisme, et avons réussi à exporter ce genre de crise auto-immunitaire hors d’Europe. Mais les frontières sont poreuses en temps de mondialisation.:

« Nous sommes, » dit Esposito, « proches d’un seuil autrement plus dramatique que celui situé sur la ligne de crête des années 1920-1930. […] Explosion du terrorisme biologique, guerres préventives sur le même terrain, massacres ethniques, migrations de masse qui franchissent les barrières prévues pour les contenir, essor de biotechnologies modifiant nos comportements vitaux, nouvelles épidémies, réouverture de camps de concentration, , etc. Et Esposito conclut « Partout recommence à exploser, irrépressiblement, un nouveau syndrome immunitaire potentiellement dévastateur42. »


Au nom de la vie, le biopouvoir est donc parfois loin de la protéger ; paradoxalement, il risque au contraire de la détruire, tant qu’il se couple avec un désir immunitaire sans limites.

À cette perspective pessimiste, sinon catastrophiste, on peut s’étonner de l’optimisme d’une utopie, venue d’outre-Atlantique, développée à travers d’incessantes et éblouissantes nouveautés technologiques, qui bouleversent notre vie quotidienne. Le nom de cette utopie, le « transhumanisme », est moins médiatisé qu’il y a six ans43, peut-être parce que son envers dystopique est plus évident aujourd’hui, dans le regard critique porté sur les GAFAM44. Qu’en est-il vraiment ? Ce mouvement est-il une utopie, une dystopie, ou les deux ? Comment s’articule-t-il avec ce que nous avons repéré de la crise sanitaire à travers la notion de biopouvoir ?


TRANSHUMANISME ET BIOPOUVOIR : VERS UNE VIE POSTHUMAINE ?

Dans Aux Frontières de l’humain, nous avions remarqué que le mouvement transhumaniste s’inscrivait dans la lignée de la modernité européenne, comme une déclinaison du célèbre « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature 45, de Descartes. À ceci près que les transhumanistes semblent avoir oublié le « comme » de la formule : celui-ci se référait implicitement à un Dieu, et constituait ainsi une sorte de « geste barrière », une limitation de l’orgueil de l’homme moderne, un garde-fou à son hubris46 :

Mais depuis le Discours de la méthode, de l’eau a coulé dans le fleuve du progrès scientifique et technique, et chez les transhumanistes, aucune divinité ou aucun impératif éthique ne vient plus s’opposer à l’hubris quasi-prométhéenne de l’homme. De plus, dans le « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », il s’agissait de la nature physique en général, alors que dans la modernité contemporaine, cette nature, c’est aussi la nature humaine, le vivant humain, dont il s’agit de se rendre « maîtres et possesseurs » : rien ne semble plus impossible aux transhumanistes, même l’immortalité. Comme nous l’écrivions, « l’idée de modeler l’homme à l’infini est devenue hyperbolique. Il y a dans cette démesure vertigineuse une sorte d’hubris au carré, une hubris de l’hubris. 47.


Le transhumanisme marque-t-il alors l’émergence d’un nouveau biopouvoir, au sens où nous l’avons défini plus haut ? : « un pouvoir qui s’exerce sur la vie, et qui prétend tirer sa légitimité de ce qu’il œuvre pour la vie »? Non, si l’on songe à un pouvoir proprement politique, car pour le moment, cette idéologie ne s’est pas politiquement incarnée dans un gouvernement particulier (Aux USA, aussi bien les Démocrates que les Républicains ont apporté leur soutien aux principales figures du mouvement, à moins que cela ne soit le contraire !). Apparemment, les GAFAM n’imposent pas autoritairement une vision du monde et du marché, leur pouvoir se dilue dans une multitude de « micro-pouvoirs » de microtechnologies, qui arrivent à obtenir l’adhésion de chacun, adhésion parfois inconsciente, car ces micro-pouvoirs finissent par paraître naturels, tout comme pour un adolescent aujourd’hui, il y a difficulté à imaginer qu’il y a pu avoir un monde sans ordinateurs, sans internet, ou sans smartphone.

Le mouvement transhumaniste avance ainsi à travers une multitude de stratégies de marketing, où il s’agit moins de vendre à des publics ciblés que d’acheter ces publics, d’en acquérir une connaissance de plus en plus fine à travers la collecte et l’exploitation de data, pour prédire - aussi bien qu’agir sur – le comportement consumériste, social ou politique de ces publics. En ce sens, nous avons là un biopouvoir, un pouvoir qui s’exerce sur le vivant, de manière beaucoup plus concrète que ce que Nietzsche ou Foucault avaient pu imaginer.

Pourquoi parler ici de Nietzsche ? Parce qu’il avait compris avant les autres que ce qui allait se jouer dans le futur, c’était la définition même de ce qu’est l’homme, mais aussi de ce qu’il pourrait devenir à partir du moment où il se pose la question de modifier ce qui le produit. », L’idée de Pic de la Mirandole d’une « plasticité humaine », d’une production, par l’homme lui-même, de sa propre essence, se traduit aujourd’hui en termes biologiques, dans la mesure il s’agit de transformer non une essence abstraite de l’homme, mais « le corps de l’homme lui-même – ou mieux, l’homme comme un ensemble bio-déterminé dans lequel l’âme, la condition et le corps ne forment qu’un seul organisme vivant.48 »

Or le formidable essor des biotechnologies ouvre aujourd’hui la possibilité de réaliser des manipulations sur le vivant de l’ordre de ce que Nietzsche imaginait seulement comme une sorte de philosophie-fiction : « Pourquoi ne réussirions-nous pas avec l’homme ce que les Chinois savent faire d’un arbre – si bien que d’un côté il porte des roses et de l’autre des poires ? 49». Ce qui était annoncé, c’était la possibilité d’un monde où les mots de “domestication” (Zähmung) ou “élevage” (Züchtung), pourront être appliqués à l’homme, en un sens anthropotechnique et zootechnique50. Le biopouvoir peut alors déboucher sur une transformation du corps, et de la “matière” humaine, sur laquelle on peut travailler “comme sur un mécano  biologique”51 .


On pourrait ne voir là qu’utopie ou dystopie, et rien d’effectif. Mais avant de classer le transhumanisme dans la catégorie du cauchemar impossible, on devrait se garder de sous-estimer son pouvoir économique (cf. le développement d’un tourisme spatial par Elon Musk) et surtout son côté particulièrement rassurant, notamment dans le domaine de la santé, que Laurent Alexandre soulignait en 2014 :

« [Avec le transhumanisme], ce sera la toute-puissance de la technique souhaitée par tous, car les gens sont près à tout pour moins souffrir, moins vieillir, et moins mourir. On voit bien que les gens sont prêts à accepter une dernière chimiothérapie pour gagner quelques semaines de vie quand ils ont un cancer. Si les transhumanistes avancent sans livrer bataille, c’est parce que l’opinion est déjà conquise, elle ne souhaite même pas entrer dans la discussion. […] 100% des français sont favorables à cette transgression technologique, qui va sauver plein de vies !52 »


Ces propos publiés en 2014, pourraient avoir été écrits hier. La remise en cause actuelle de notre mode de vie, de notre culture, de notre quotidienneté, par des mesures qui auraient parues insupportables il y a trois ans, est massivement acceptée par les promesses de la techno-science, en particulier sur le plan de la santé. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la pandémie n’a pas du tout été un frein dans au progrès d’ un bio-techno-pouvoir, puisque les processus de surveillance sanitaire (au nom de la sécurité) et les mesures coercitives de la crise ont fait faire un pas en avant à la numérisation de tous les secteurs du réel (y compris, en Chine, la reconnaissance faciale), au traitement des big data par des algorithmes de plus en plus performants, avec mises en œuvre des QR code et pass sanitaires via les smart-phones). Barbara Stiegler se demande  si finalement le virus n’a pas réalisé  « le rêve ultime des néolibéraux : Chacun, confiné seul chez soi devant son écran, participant à la numérisation intégrale de la santé, de l’éducation, tandis que toute forme de vie sociale et d’agora démocratique était décrétée vecteur de contamination. S’il avait commencé par mettre à bas le discours néolibéral sur la mondialisation, le virus semblait lui permettre, avec le virage numérique, de retomber sur ses pieds.53 »

Esposito le prévoyait en 2019 : « Désormais, même par rapport aux analyses classiques de Foucault sur le contrôle disciplinaire des corps par des régimes politiques précis, nous sommes dans une situation beaucoup plus ouverte, dans laquelle le sujet du biopouvoir lui-même tend à s’étendre et à se généraliser à des dispositifs planétaires qui règlent la vie, selon des procédures complètement technicisées. 54», autrement dit selon un dispositif qui ressemble étrangement aux rêves transhumanistes.


CONCLUSION


L’exploration des trois pistes proposées ici, immunité, biopouvoir et transhumanisme a mis en évidence trois menaces envers notre vie citoyenne, et peut-être notre human-ité :

:

  • Le désir d’« immunité » développe une peur sécuritaire engendrant une forme de communauté jalouse de ses privilèges, fermée sur elle-même, et pouvant à tout moment retourner sur elle-même ses mécanismes de défense face à l’ennemi présumé extérieur.

  • Le développement du biopouvoir entraîne, au nom des fantasmes sécuritaires, et sous l’emprise de la peur de la contagion, une diminution de nos libertés politiques, sociales et sanitaires, de notre liberté de mouvement, d’expression, d’accession aux espaces culturels et lieux de débats publics, intellectuels etc.

  • La gestion hypertechnicisée de la société par le développement sans précédent de l’intelligence artificielle va dans le sens des rêves transhumanistes qui menacent non seulement l’espace de nos vies privées, mais mettent en cause notre être humain, notre human-ité dans ce qu’elle a de plus intime.

Ces trois dangers tendent à se rejoindre et à n’en faire qu’un ; à supposer que l’on en prenne conscience, et qu’on n’en nie pas l’importance, ils nous poussent, à nous poser une question éminemment philosophique : «  Quelle vie voulons-nous ? »

Tout le monde est à peu près d’accord pour défendre une « bio-légitimité », c’est-à-dire, selon Didier Fassin 55« la reconnaissance de la vie comme bien suprême, qui est une signature de la modernité occidentale, et peut être de plus en plus de la modernité tout court. Mais de quelle vie s’agit-il ? Uniquement de la vie physique, car les efforts pour la préserver ne s’étendent pas jusqu'à la vie sociale, vie exposée non pas à un virus, mais à l’indignité et à l’injustice ; celles des familles africaines dont les enfants souffrent de saturnisme, celles des exilés dans les camps d’internement, celles des détenus dans les maisons d'arrêt.» Il y a déconnexion de deux formes de vie, vie physique et vie sociale, et valorisation de la première au détriment de la seconde. Derrière la bio-légitimité se cache un réflexe que l’on pourrait qualifier d’immunitaire : « C’est lorsqu'il s'agit les siens, ou tout au moins de ceux considérés comme appartenant à sa communauté morale, que la vie mérite d'être protégée. D’où les sacrifices considérables consentis pour contenir la mortalité du Covid.56.» Le reste du monde ne compte guère, comme en atteste la répartition des vaccins dans les pays les plus « démunis ».


La biolégitimité (défense de la vie physique) occulte ainsi la question pourtant essentielle de la qualité de la vie qu’il s’agit de défendre. Didier Fassin examine deux réponses antithétiques à cette question :


a) “Wealth over health57 ” : c’est la position de Dan Patrick, le lieutenant-gouverneur du Texas, qui a demandé « qu'on ne sacrifie pas le pays, et qu'on laisse les personnes âgées prendre soin d'elles-mêmes, ajoutant que, si on lui demandait “ êtes-vous d'accord pour prendre un risque sur votre survie en échange la préservation pour vos enfants et petits-enfants de l’Amérique telle qu’elle est ?”, il répondrait sans hésiter qu’il faudrait sauver l’économie. »

b) À l’opposé, le philosophe Giorgio Agamben, lors du premier confinement, s’étonnait que « les citoyens soient « disposés à sacrifier pratiquement tout, leurs conditions normales de vie, les rapports sociaux, le travail, et même les amitiés, les affects, les convictions politiques et religieuses, au danger de se contaminer, au point que même les morts n’ont plus droit aux funérailles ». Le sens de la vie est en jeu, entre ce qu’il appelle « la vie nue » et « la vie qualifiée ». On a donc deux contestations des mesures restrictives et répressives prises par les gouvernements, qui sont fort différentes. Dans la version du politicien texan, elle se fait au nom d’une vie au service de l’économie : vivre c’est participer à la richesse de la nation. Dans la version du philosophie italien, elle s’appuie sur une conception de la vie en tant qu’humain et citoyen : vivre c’est participer à la construction de la cité.


À supposer que l’on choisisse la seconde alternative, on sera amené à contester la biolégitimié libérale, en interroger non pas la « justesse du choix » sur le plan sanitaire, mais la « justice de sa mise en œuvre » :

« Ce qui présenté comme une mesure s’appliquant à tous établit en réalité de profondes lignes de partage qui sont autant d’indices de l’inégalité de la valeur des vies. […] En prendre conscience, c’est refuser de limiter la vie à ce que Walter Benjamin appelle « le simple fait de vivre ». Pour Didier Fassin, l’ultime leçon de la pandémie pour la santé publique est que la vie qu’elle doit protéger ne saurait être réduite à la vie physique, elle est aussi et surtout une vie digne et pleine, politiquement et moralement.58 » »


On trouve en d’autres mots une leçon analogue dans la bouche d’Edgar Morin, centenaire toujours étincelant de vie : La bio-légitimité n’est pas non plus pour lui la simple défense de la survie physique, elle doit prendre en compte la « vie poétique », qu’il oppose à la simple prose de la survie physique, dans un chapitre intitulé La « vraie vie » :

« La politique de civilisation nécessite la pleine conscience des besoins poétiques de l’être humain. Elle doit s’efforcer d'atténuer les contraintes, servitudes et solitudes, s ‘opposer à l’envahissement gris de la prose, de façon à permettre aux humains d’exprimer leurs aptitudes politiques. »

Et une note explique de manière lumineuse cette opposition de la prose et de la poésie : « L’état prosaïque et l’état poétique sont nos deux polarités, nécessaires l’une à l’autre : S’il n’y avait pas de prose, il n’y aurait pas de poésie. L’un nous met en situation utilitaire et fonctionnelle, et sa finalité est utilitaire et fonctionnelle. L’autre peut être lié à des finalités amoureuses, fraternitaires, mais il a aussi sa finalité propre en soi-même. Vivre poétiquement, c’est vivre pour vivre.59»

Cette prise au sérieux, par un philosophe, de la poésie comme « vraie vie » est d’autant plus remarquable qu’elle se trouve rarement dans notre monde utilitariste, qui rabâche que la poésie n’est qu’un luxe, un divertissement peu rentable au regard du productivisme, oubliant que le mot poiêsis veut dit lui aussi production, mais production en autre sens, production d’une autre vie que la survie, production d’une vie vivable, enfin digne de ce que nous appelons l’humain, bien au delà de tout geste barrière et distanciation sociale.

C’est cette poésie qu’exaltait le poète espagnol Gabriel Celaya, dans un texte intitulé « La poesia es un arma cargada de futuro60 » :


« Maldigo la poesia concebida como un lujo cultural por los neutrales […] 

Poesia para el pobre, Poesia necesaria como el pan de cada dia, como el aire que exigimos trece veces por minuto, para ser y en tanto somos, dar un si que glorifica. »

« Je maudis la poésie conçue comme un luxe culturel pour les neutres […] La poésie est faite pour le pauvre, elle est nécessaire comme le pain de chaque jour, comme l’air que nous exigeons treize fois par minute, pour être, et en tant que nous sommes, pouvoir dire un oui qui glorifie. »


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1 Anne-Marie Moulin, directrice de recherche émérite au CNRS et membre du comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, in : France culture, Immunité, vous avez-dit immunité? Émission du 26/ 03/2021 https://www.franceculture.fr/recherche?q=immunit%C3%A9

2 Question : considérer le virus ou la maladie non seulement comme un mal, mais comme un « ennemi » , n’est-ce pas une sorte de pensée enfantine animiste, comme celle que décèle Piaget dans la phrase « la lune me suit quand je marche la nuit » ?

3 Cf. Marc Daëron, chercheur invité à l'Institut Pasteur, chercheur émérite au centre d'immunologie de Marseille-Luminy et membre associé à l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques. Auteur de  L’Immunité, la vie, Odile Jacob mai 2921. France culture, cf supra, émission du 26/ 03/2021.

4 Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Vrin 1965, p.14 

5 La maladie hémolytique du nouveau- survient lorsque les globules rouges sont détruits par les anticorps de la mère. L'hémolyse est la destruction des globules rouges. Cette maladie peut survenir lorsque le sang de la mère n'est pas compatible avec celui du fœtus.

6 Cf. Marc DaëronFrance culture, ibidem, émission du 26/ 03/2021

7 France culture, ibidem, émission du 26/ 03/2021

8  Heidegger, Être et Temps, § 46 à § 60.

9 Considérations intempestives III Aubier bilingue, p.55

10 Cf. Marc DaëronFrance culture, ibidem, émission du 26/ 03/2021

11 Communauté, Immunité, Biopolitique, Repenser les termes de la politique, Ed. Mimésis, Visages, janv.2019 Roberto Esposito est professeur de Philosophie à la Scuola Normale Superiore de Pise en Italie.

12 idem, p.132

13 Cf « 120 battements par minutes » un film dramatique français coécrit et réalisé par Robin Campillo, sorti en 2017.

14 On ne peut qu’être frappé par le côté révolutionnaire, à l’époque, de sa remise en cause des oppositions pur/impur, santé/maladie, sacré/profane, qui structurait le judaïsme pharisien de l’époque.

15 « contaminer » vient du latin contaminare, « entrer en contact avec », «souiller par contact », mais aussi « rendre méconnaissable en mélangeant ». Le mot renvoie à tangere, toucher mais aussi à tamen, « fait de toucher, contact impur », lequel pourrait être un ancien terme du vocabulaire religieux. » ( Robert, Dictionnaire historique de la langue française

16 Esposito, op.cit, p.133.

17 Jacques Prévert, Grand bal du printemps, Gallimard. 1955


18 « Tract » Gallimard de Janvier 202, n°23, p.9

19 idem, p.13

20 Esposito, op.cit, p.99

21 Barbara Stiegler, op.cit, p.24

22 Barbara Stiegler, op.cit, p.20

23 Nous soulignons, il s’agit bien ici d’un pouvoir « immunitaire », un pouvoir exercé par un petit nombre sur d’autres qui ne sont pas exemptés du risque de mourir.

24 Foucault, La volonté de savoir, Histoire de la sexualité, Tome 1, NRF Gallimard, 1976, p.177

25 Idem.

26 Ibid, p.178

27 Ibid. p.179.

28 Foucault, op.cit.. p.180

29 Foucault, ibid. p.200

30 Foucault, ibid. p.183

31Ceci est très clairement expliqué par Didier Fassin, Médecin anthropologue, dans son Cours du collège de France : Les mondes de la santé publique, Épisode 8, Lecture de la Pandémie, France culture, émission du 23/06/2021.

32 Foucault, ibid. p.185-186

33 Selon l’expression de Barbara Stiegler, qui conteste avec The Lancet (op.cit.) la qualification de « pandémie » pour qualifier la Covid 19, mais qui l’applique à la crise dans ses dimensions politiques et sociales : « Si nous ne vivons pas une pandémie, nous vivons bel et bien, en revanche, en Pandémie. » p.8

34 Foucault, op.cit.. p.180

35 Barbara Stiegler, op.cit, pp.54-55

36 Deutschlandlied (Chant d'Allemagne) ou Das Lied der Deutschen (Le Chant des Allemands) est un chant dont le troisième couplet est l'hymne national de l'Allemagne.

37 A propos de ce qui se joue dans l’idée de greffe, cf .le remarquable ouvrage de Jean-Luc Nancy, L’intrus, Ed. Galilée, 2000, à propos de sa propre greffe de cœur.

38 Même si ce point ne reflète pas la situation actuelle en France, force est de constater qu’avec actuellement 35% des intentions de vote pour l’extrême droite aux prochaines présidentielles, ce courant idéologique est loin de tomber en désuétude.

39 Esposito, op.cit. p.182

40 A.Hitler, Libres propos sur la guerre et la paix recueillis sur l’ordre de Marin Bormann, vol.1.Flammarion, Paris, 1952, p. 321. Voir aussi Mein Kampf : « La coutume qu'a le peuple juif de s'étendre toujours plus au loin est un trait caractéristique des parasites ; il cherche toujours pour sa race un nouveau sol nourricier. […] Il est et demeure la parasite-type, l'écornifleur, qui, tel un bacille nuisible, s'étend toujours plus loin, sitôt qu'un sol nourricier favorable l'y invite. L'effet produit par sa présence est celui des plantes parasites : là où il se fixe. le peuple qui l'accueille s'éteint au bout de plus ou moins longtemps. » Mein Kampf, NEL : Nouvelles Éditions latines p.304-305

41 Esposito, op.cit. p.184

42 Esposito, op.cit. p.187

43 Au moment de la parution de notre ouvrage : Pierre Kœst Aux frontières de l’humain, L’Harmattan, Paris, 2015. 

44 GAFAM est l'acronyme des géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, dont la plupart des dirigeants sont dans la mouvance transhumaniste.

45 Discours de la méthode, VI, (Pléiade p. 168, Vrin p122).

46 Hubris, ou hybris (ὕϐρις ) veut dire en grec : excès, orgueil, démesure.

47 Pierre Kœst, Aux frontières de l’humain, L’Harmattan, Paris, 2015. , p.91 

48 Roberto Esposito, op.cit. p.199

49 Nietzsche, « Fragments posthumes été 1881-été 1882 », Œuvres philosophiques complètes, t.5, Le Gai Savoir, Gallimard, Paris, 1982, p.414.

50 Idée reprise par la suite par Peter Sloterdijk dans Règles pour le parc humain, Ed. Mille et une nuits, 1999.

51 David Le Breton, L’adieu au corps, Ed. Métaillé, 2013, p.227

52 « Qu’est-ce que « l’homme+ ?», Emission « La Grande Table », France Culture 16 février 2015, (http://www.franceculture.fr/emission-la- grande-table-2eme-partie-qu-est-ce-que-l-homme-%20-2015-02-13).

53 Barbara Stiegler, op.cit. p. 34

54 Esposito, op.cit. p.206

55 Didier Fassin, Médecin anthropologue, Cours du collège de France : Les mondes de la santé publique, Épisode 8, Lecture de la Pandémie, France culture, émission du 23/06/2021.

56 Didier Fassin, ibid.

57 “Le bien-être avant la santé ”

58 Didier Fassin, fin du cours au Collège de France cité supra.

59 Edgar Morin, ibid. p.115

60 « La poésie est une arme chargée de futur » poème mis en musique et chanté par Paco Ibáñez, España De Hoy Y De siempre, Vol.2