Habiter une autre planète: fantasme ou possibilité ? Café-philo du mardi 11 octobre 2022

Habiter une autre planète : fantasme ou possibilité ?


Cette fois, ça a l’air d’être sérieux !

Je parle du projet Artémis qui réunit de nombreux pays autour des USA, dont la France et l’agence spatiale européenne, pour établir une station habitable sur la Lune à partir de 2025. Le premier lancement préparatoire – Artémis I – qui devait avoir lieu en septembre 2022, a été reporté pour novembre.

Je dis « ça a l’air » parce, des projets élaborés de station lunaire habitable, il y en a déjà eu une vingtaine de la part des USA, depuis 1959. Le projet de 1959 programmait une station lunaire opérationnelle pour 1966 !

D’autre part, Artémis, qui est piloté par la NASA, dépend d’abord des subsides votés par le Congrès des USA, ainsi que de la collaboration de nombreux autres Etats, et aussi d’opérateurs privés (dont SpaceX d’E. Musk), n’a son budget, qui est énorme, assuré que jusqu’en 2024.

Aujourd’hui, les capitaux sont intéressés par l’espace. Des sociétés créées pour investir dans l’exploitation minière d’autres astres, ou dans les voyages commerciaux dans l’espace, ont pu réunir des millions de dollars.

S’agit-il de bulle spéculative, ou d’investissement réaliste à long terme ?

Or les bulles spéculatives ne mettent-elles pas en relief l’irrationalité des acteurs de la finance ? De même la multiplicité des projets d’implantation lunaire abandonnés ne manifestent-ils pas une irrationalité des scientifiques ?

À chaque fois n’est-ce pas le désir qui prend le pas sur la connaissance vraie de la réalité ?

Or le désir qui prend le pas sur la réalité pour la conformer à son gré par l’imagination. N’est-ce pas la définition du fantasme ?

Fantasme : scénarisation imaginaire d’une réalité conforme à son désir.

Question : le réinvestissement pour s’implanter sur d’autres planètes en cette troisième décennie du XXIéme ne serait-il pas la reviviscence de fantasmes qui encombrent déjà les poubelles de l’histoire de la science ?

Ou bien l’humanité a-t-elle atteint un stade qui lui permet d’envisager la possibilité d’une habitation d’astres autres que la Terre ?

D’une manière générale : l’habitation d’autres planètes par les humains est-elle possible ?

La première observation qui doit nous alerter : cette possibilité est dans les discours médiatiques, toujours envisagée sous son angle technique. On la résume à la question : Avons-nous les moyens techniques d’habiter sur la lune ou sur mars ?

Or, cela ne devrait pas être la question prioritaire. La question prioritaire devrait être : Pourquoi vouloir coloniser la Lune ? Pourquoi vouloir s’installer sur d’autres astres ?

Chacun peut avoir des idées sur cette question, mais avant de les examiner, je propose de faire le point sur la faisabilité technique. Tout simplement parce cela apporte un éclairage sur l’état d’esprit des sphères dominantes de la société sur cette question du pourquoi.

Est-ce faisable techniquement ?

On sait aller sur la Lune depuis 1969. Mais on n’y est jamais resté plus de 24 h. On ne sait pas y habiter dans le sens minimum du mot : s’y donner un espace viable et sécurisé à long terme. Par exemple on est capable d’habiter l’ISS (la station spatiale internationale).

On ne sait pas aller sur Mars. On sait, par contre, qu’il faut au moins 7 mois pour qu’un vaisseau terrien atteigne Mars, et que ce trajet est possible seulement tous les 2 ans, quand la position relative de Mars et de la Terre permet d’en minimiser la durée.

Si des spationautes voulaient séjourner sur Mars, ils devraient, dans les conditions les plus favorables, soit rester moins d’un mois, pour pouvoir repartir avant que Terre ne s’éloigne trop de Mars, ou alors attendre 2 ans la prochaine configuration qui rend possible le retour.

Cela implique de toute façon qu’un petit groupe de spationautes reste confiné au moins 15 mois dans l’espace. Durant ces 15 mois comment assurer leur autonomie en air, eau, nourriture, énergie, matériaux de construction, télécommunications et transport ?

On n’est pas avare de propositions techniques pour résoudre ces problèmes. Mais là, c’est surtout l’imagination qui prévaut, car la plupart de ces techniques n’existent pas encore. Or, quelles qu’elles soient, ces techniques impliquent du matériel venant de la Terre.

Ce qui est certain, c’est que la nourriture devra être apportée. Il est utopique d’espérer nourrir un groupe humain par des cultures en serre étanche et pressurisée pour laquelle l’espace utilisable sera très restreint.

Or, on n’est pas capable d’extraire de la gravité terrestre les centaines de tonnes de tout ce qu’il serait nécessaire d’emporter sur Mars.

C’est là qu’on retrouve la Lune. La gravitation lunaire est six fois moindre que celle de la Terre. D’où l’idée d’implanter une station permanente sur la Lune, sur laquelle on stockerait matériels et victuailles, et de s’en servir comme base de lancement d’un vaisseau vers Mars.

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Même si on arrivait à assurer les ressource vitales, il reste le problème d’une adaptation physiologique durable à un environnement à faible pesanteur – on est 3 fois plus léger sur Mars que sur Terre. Cela entraine des modifications du corps gênantes, en particulier une perte de masse musculaire (le syndrome des spationautes de l’ISS). La température moyenne sur mars est de –63°C, et la surface de la lune, qui n’a pas d’atmosphère subit des variations de température très fortes, entre –248 et +123 C.

Surtout, il reste le problème de la radioactivité. L’espace est très radioactif, en particulier par la permanence du rayonnement cosmique qui n’est pas arrêté par les cloisons habituelles.

Sur Terre nous subissons au moins la radioactivité tellurique (résiduelle) d’environ 2mSievert/an. Elle peut aller jusqu’à 6 mSv/an avec les usages communs contemporains de la radioactivité artificielle (radios, conservation de denrées alimentaires, essais nucléaires passés, accidents dans l’industrie nucléaire de production d’énergie, etc.…). La norme pour les travailleurs dans le nucléaire est de limiter leur exposition à 20 mSv/an. Nous sommes en effet protégés des rayonnements cosmiques par l’atmosphère, mais aussi, par un bouclier magnétique (puisque la Terre est magnétisée). Les occupants de l’ISS sont exposés à environ 250 mSv/an parce qu’ils ne bénéficient plus de la protection atmosphérique. Sur la lune, où il ni atmosphère ni bouclier magnétique, l’exposition à la radioactivité est de 500 mSv/an. Les spationautes qui y sont allés entre 1969 et 1972 n’ont pas été exposés plus d’une semaine (6 jours de voyages A/R plus, au maximum, 22h passés sur la lune), et cela n’a pas eu de conséquences notables sur leur santé.

Mais il n’est pas possible de laisser des spationautes exposés plusieurs mois à une telle radioactivité (à laquelle il faut ajouter celle d’une périodicité aléatoire, provenant des éruptions solaires.)

La seule option serait de créer un champ électro-magnétique artificiel de protection, alimenté par une pile atomique. Mais là encore, la technique reste à inventer.

Et on n’approfondit pas les problèmes psychologiques qui s’imposeront à des spationautes vivant des mois en groupe restreint, en promiscuité, dans un espace fermé, au milieu de nulle part, ce « nulle part » étant à prendre à la lettre : un environnement foncièrement invivable.

Les occupants de l’ISS ont connu cela. C’est sans doute pourquoi on les retrouve souvent, après leur expérience spatiale, fervents écologistes (Claudie Haigneré, Thomas Pesquet). Mais eux, ils ont eu durant leur séjour une dense communication avec la Terre. Ce serait plus difficile depuis Mars, puisqu’il faudrait inévitablement attendre au moins 40 mn pour entendre la réponse terrienne à un message envoyé.

La foi en la technoscience

Peut-on dire qu’habiter un autre astre est aujourd’hui techniquement possible ?

Non !

Le sera-t-il prochainement ?

Ce n’est pas sûr du tout !

Car cela devra engager énormément de richesses, d’énergies humaines, de compétences, de prise de risques. Alors que nous sommes sur une planète qui, par l’évolution que lui a imprimée l’anthropocène (cette époque de l’histoire de notre planète en laquelle celle-ci est conformée par l’espèce humaine), est désormais entrée dans une crise généralisée !

Aujourd’hui, rien qu’au niveau du projet Artémis, qui se veut la porte d’entrée vers la colonisation spatiale, il y a beaucoup d’inconnues et d’incertitudes (qui se voient dans les divergences entre scientifiques) dans les solutions techniques proposées. Par exemples les problèmes des radiations, de l’abrasivité de la poussière lunaire (la régolithe), des habitats provisoires légers à installer pour pouvoir construire un habitat en dur. La solution pour l’habitat retenue est d’utiliser la régolithe pour réaliser des briques au moyen d’un four solaire et d’une imprimante 3D (mais il y a encore beaucoup d’inconnus sur sa faisabilité dans les conditions extrêmes de la surface lunaire).

Il apparaît ainsi que la possibilité technique de pouvoir aller habiter un autre astre reste très aléatoire. Elle ne semble pas beaucoup plus assurée, aujourd’hui, que les projets qu’on faisait il y a un demi-siècle, et qui sont restés sans lendemain.

Et pourtant cela n’empêche pas les dirigeants politiques (et les investisseurs) d’engager aujourd’hui des sommes énormes, de mobiliser largement des énergies et des compétences dans la société, pour de tels projets proposés par des hommes de science (il y a aussi un projet chinois d’implantation sur la Lune pour 2036).

N’y a-t-il pas une irrationalité lourde de conséquences dans le choix de s’engager dans de tels projets ?

Comment en rendre compte ?

Ne porte-t-elle pas sur la relation des sphères dirigeantes, et même globalement de la société (dans la mesure où les idées de la classe dirigeante deviennent les idées dominantes dans les sociétés hyper médiatisées) avec la science – nous dirons plus exactement « avec la technoscience » parce que maintenant avancée technique et avancée théorique ne sont pas désolidarisables l’une de l’autre ?

Et cette relation de quelle nature est-elle ? Est-elle simplement de partage d’une connaissance rationnelle de la nature ?

Non ! Elle est une foi aveugle en ce que la technoscience propose et en ce qu’elle peut !

C Castoriadis ( 1990 dans « Le monde morcelé ») :

« La science offre un substitut à la religion pour autant qu'elle incarne derechef [de nouveau] l'illusion de l'omniscience et de l'omnipotence  l'illusion de la maîtrise. Cette illusion se monnaie d'une infinité de manières  depuis l'attente du médicament-miracle, en passant par la croyance que les « experts » et les gouvernants savent ce qui est bon, jusqu'à la consolation ultime : « Je suis faible et mortel, mais la Puissance existe. » La difficulté de l'homme moderne à admettre l'éventuelle nocivité de la technoscience n'est pas sans analogie avec le sentiment d'absurdité qu'éprouverait le fidèle devant l'assertion : Dieu est mauvais. »

N’est-ce pas ce qui se passe avec les projets d’habitation extra-terrestre proposée aujourd’hui par la technoscience ? Et déjà il y a ½ siècle ?

Rappelons-nous, il y a 60 ans, c’était l’idée de « la nouvelle frontière » de Kennedy, mais c’était aussi le temps où l’on prenait conscience des limites à l’emprise technique humaine sur note planète – le livre alarme de Rachel Carson : « Le printemps silencieux », est paru en 1962.

La nouvelle frontière, c’était d’abord la conquête de l’espace qui rétablissait un horizon de puissance des USA qui s’est concrétisé par le débarquement sur la Lune. C’était le triomphe de la toute-puissance de la technoscience qui occultait ainsi les problèmes écologiques qu’elle engendrait sur Terre.

Mais les projets de colonisation de notre astre satellite ont dû être abandonnés car ils étaient trop aléatoires relativement au financement qu’ils exigeaient (qui était alors exclusivement publics).

Aujourd’hui, le retour en force du projet de colonisation d’autres astres se fait dans un tout autre contexte.

Le tabou de la mortalité de l’espèce

Il faut prendre au sérieux ce qu’écrivait Castoriadis : « les gouvernants savent ce qui est bon, jusqu'à la consolation ultime : "Je suis faible et mortel, mais la Puissance existe." ».

Cela veut dire que, même si c’est difficile à penser, chacun de nous est bien obligé d’admettre qu’il est mortel, qu’un de ces jours il ne sera plus (c’est ainsi qu’il prend des dispositions testamentaires).

Mais ce qui est encore plus difficile à penser que sa propre mort, c’est la mort de l’espèce humaine. Car ce qui console l’individu de l’échéance de sa mort, c’est ce qui s’ensuivra de son passage sur Terre. C’est l’existence de sa descendance biologique, bien sûr ! Mais pas seulement, car elle peut ne pas être. Ce sont aussi toutes les œuvres qu’il laisse derrière lui, c’est tout ce qu’il transmet parce que cela valorise l’humanité – et l’éducation des nouvelles générations en fait partie. Ce qui donne sens à la vie de mortel de l’individu humain, c’est la pérennité de l’humanité qui passe à travers lui. Nous nous voudrions toujours dans la perspective d’un progrès de l’humanité « vers un état futur possible et meilleur », comme écrivait Kant.

Or, aujourd’hui, il devient quasiment impossible de se situer dans une telle perspective d’avenir. L’humanité ne semble avoir aucun avenir. Ce que l’on voit du futur, c’est d’abord l’advenue de catastrophes, voire d’un effondrement généralisé de la civilisation, liées à l’impasse écologique.

Pire, nous sommes pris dans une guerre, la guerre en Ukraine, qui est dans une logique d’escalade de la violence qui semble échapper même à ses protagonistes. Au point que, comme vient de le dire Biden, nous sommes plus que jamais proches d’une apocalypse nucléaire.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » écrivait Paul Valéry au lendemain de la Guerre 14-18.

Ne faudrait-il pas dire aujourd’hui : « Nous-mêmes, humains, savons maintenant que l’humanité est mortelle » ?

Or, cette pensée de la mortalité de l’espèce humaine semble bien être la plus difficile qui soit. Il semble que dans l’histoire de l’humanité, toujours elle ait été esquivée.
C’est l’idée de la répétition indéfinie de la séquence mythique dans les sociétés premières, appuyée sur la renaissance annuelle de la nature.
C’est l’idée de la métempsychose dans de nombreuses sociétés traditionnelles, appuyée sur les transformations dans la biosphère (comme la chenille qui devient papillon.
C’est l’idée de l’eternel retour du même communément partagée dans l’Antiquité : l’histoire ferait une boucle sur elle-même au terme d’une Grande Année, qu’Héraclite évaluait à 5 000 ans, de façon à ce que tout ce qui était arrivé arrivera de nouveau, et ainsi à l’infini.
C’est l’idée du salut, et de l’établissement, à la fin du monde, d’un « Royaume des cieux » éternel chez les chrétiens.
C’est l’idée d’un progrès infini de l’humanité à l’époque moderne, et dont nous étions tributaires jusqu’au tournant de ce siècle.

Aujourd’hui, nous ne pouvons éviter la pensée que l’espèce humaine puisse s’éteindre, comme tant d’autres espèces dont elle a été le témoin – et souvent l’acteur – de l’extinction.

C’est dans ce contexte que la parole de Castoriadis prend toute sa valeur : « Je suis faible et mortel, mais la Puissance existe. » La foi en la toute-puissance de la technoscience serait l’antidote à la pensée intolérable de la disparition de notre espèce.

Et puisque notre espèce disparaîtrait d’avoir rendu la planète Terre invivable. Alors, nous voulons croire que la toute-puissante technoscience nous donnera les moyens d’habiter d’autres astres.

Ce que disent d’ailleurs explicitement certains individus comme Elon Musk ou Jef Bezos.

On avait mis de côté la question prioritaire du pourquoi vouloir habiter une autre planète.

On a maintenant une sérieuse hypothèse de réponse : pour échapper à l’éventualité d’une disparition prochaine de l’espèce – le choix d’une telle issue reposant sur une foi quasi religieuse dans la technoscience.

La question primordiale de l’habitabilité

Maintenant essayons d’imaginer l’installation des premiers spationautes-colons sur la Lune, en 2025, normalement.

Il est certain qu’ils ne vont pas débarquer avec une cargaison de matériaux de construction. Ils n’auront, outre leur module d’alunissage, que des composants légers, sans doute gonflables, pour établir un premier espace habitable. Ils camperont en quelque sorte, et devront se donner eux-mêmes les matériaux pour construire une habitation durable, et ceci dans une grande incertitude quant à l’efficacité de leur entreprise (ils œuvreront dans des conditions tout-à-fait inédites).

Ne se retrouveront-ils pas dans une situation analogue à celle des premiers hominidés ayant tourné le dos au passé arboricole des primates et devant se donner un espace sécurisé dans l’espace hostile de la savane.

Sénèque, le philosophe romain, contemporain de Jésus affirmait : « Suppose l'homme isolé : qu'estil ? La proie des bêtes sauvages, la victime la plus désarmée, le sang le plus facile à verser. Les autres animaux sont assez forts pour se protéger eux-mêmes : chez eux les races vagabondes, et qui doivent vivre solitaires, naissent toutes armées. L'homme n'est environné que de faiblesse : il n'a ni la puissance des ongles ni celle des dents pour se faire redouter; nu, sans défense, l'association est son bouclier. Dieu lui a donné deux choses qui d'un être précaire l'ont rendu le plus fort de tous : la raison et la sociabilité. »

Pour l’exprimer en termes plus contemporains, l’espèce humaine, la seule parmi les espèces vivantes, est abiotopique. Elle n’a pas de biotope assigné vers lequel elle est dirigée par son instinct, en lequel elle s’épanouit, et hors duquel elle dépérit.

Le groupe humain doit donc absolument se donner lui-même un espace protecteur dans l’espace hostile grâce à ses capacités d’association et d’inventivité technique : savoir où et comment implanter un lieu habitable pour pérenniser la viabilité du groupe.

C’est pourquoi le problème d’habitation est le premier problème que doit résoudre un groupe humain. Ce qui ne va pas de soi puisque l’inventivité technique suppose une expérience prolongée qui permette de repérer des régularités dans la succession des phénomènes comme saisie de rapports de causalité, et donc l’usage appliqué de la raison – toute technique n’étant qu’un détournement de rapports de causalité identifiés dans la nature au profit de buts humains.

Autrement dit, l’accès à une certaine maîtrise technique sur un environnement donné prend du temps.

Et, durant ce temps les humains sont particulièrement vulnérables.

Ce qui donne toute sa valeur à la solidarité par laquelle on fait société, comme au savoir-faire technique.

Mais, au moins, les premiers humains avaient l’avantage d’être dans un environnement terrestre adéquat à leur physiologie. Tandis que nos colons lunaires sont perdus dans un espace invivable (pas d’atmosphère, pesanteur divisée par 6, énormes écarts de température (de -240° à +120°), aucune végétation, aucune manifestation vivante à part les compagnons d’expédition. Heureusement ils gardent, grâce au module d’arrivée et à la radio, comme un cordon ombilical qui les relie à la Terre. Mais supposons que cette liaison, par accident, disparaisse : « Allo Terre, allo terre, … » et plus rien ne répond. Ne serait-ce pas la pire solitude, le pire sentiment d’abandon que l’on puisse concevoir ?

Ce que manifeste cette description, c’est que nos colons vont inévitablement renouer avec le pathétique de l’épreuve initiale par laquelle l’humanité s’est constituée, et qui est celle de parvenir a habiter un espace hostile.

Avec, en surplus, l’angoisse de l’abandon total que signifierait l’éventualité de la perte de la communication avec la Terre.

Ne peut manquer de faire alors irruption l’absurdité de la situation : pourquoi tant de civilisation pour aboutir à une telle régression ?

Une leçon positive d’un échec d’habitation extra-terrestre

Supposons que cela se passe pour le mieux, et que nos colons lunaires reviennent sur Terre au bout d’un mois ou deux.

Dans quel état d’esprit aborderont-ils la Terre sur laquelle ils reprendront pied ?

De retour d’un séjour de plusieurs mois dans l’ISS, Thomas Pesquet répondait ainsi à la question d’un journaliste de savoir si la lune pouvait devenir « une planète B telle qu'on puisse y vivre durablement et dans de bonnes conditions » :

« Non. Alors, y vivre durablement et dans de bonnes conditions, peut-être, on a de l'eau liquide au pôle on peut en faire de l'hydrogène et de l'oxygène, on peut utiliser le régolite, la poussière lunaire pour faire de l'impression 3D pour en faire nos habitations sur la surface. Il y a des choses dont on peut se servir. Ceci dit, ce n'est pas une alternative à la vie sur Terre et cela, on le dit très clairement, que ce soit Mars ou la Lune, nous ne sommes pas en train de dire qu'on peut négliger cette planète-là et de dire 'On va vous trouver quelque chose pour le futur'. Non, non ! Ce qu'on dit, c'est que c'est important de préparer l'avenir mais c'est encore plus important de faire en sorte que le présent se passe bien. »

Hé bien cela augure de ce que pourrait être la déclaration de retour de nos colons pionniers venant de la lune (je propose ici une déclaration fictive qui pourrait valoir comme conclusion) :

« On est si heureux de reprendre pied sur Terre. Chérissons notre Terre, elle est encore capable de nous accueillir et de nous donner tout ce dont nous avons besoin pour nous épanouir. C’était une expérience intéressante d’essayer de vivre là-bas. Mais elle était intéressante parce qu’elle a été une dure épreuve qui nous a fait comprendre que nous, humains, n’étions pas faits pour vivre là-bas. Nous avons essayé d’habiter une autre planète ? Très bien ! C’était un fantasme qu’il fallait sans doute mettre à l’épreuve. Maintenant nous savons que le seul engagement qui vaut est de garder accueillante la seule planète pour laquelle nous sommes faits. »

Pour terminer je propose à la garde de votre mémoire cette citation tirée d’un texte écrit conjointement par Einstein et Russell en 1955, à l’époque de la course aux armements nucléaires :

« Souvenez-vous de votre humanité. Oubliez le reste »
Manifeste Russell-Einstein du 18 avril 1955

Pierre-Jean Dessertine , octobre 2022