26/06/2015 Demain, l'homme augmenté ?

Jusqu'où peut mener le projet  transhumaniste
de modification de l’être humain par les sciences et technologies ?

Thème introduit par Pierre Jean DESSERTINE et Pierre KOEST

Raison et déraison du transhumanisme


Il s'agirait d'abord de préciser ce que peut être « l'homme augmenté » en le démarquant de l'homme qui a une histoire qu'il prétend orienter vers une meilleure maîtrise de son rapport à l’environnement naturel. En quoi l'homme augmenté n'est-il pas l'homme de progrès ?
Ensuite serait présentée la plus solide justification rationnelle du transhumanisme : la théorie de l'évolution. Mais c'est alors une théorie de l'évolution extrapolée puisqu'elle ne serait plus immanente à la dynamique de la biosphère : c'est l'homme qui en prendrait les rênes.

Cette prétention humaine de faire l'évolution pose :
•    Un problème social : lesquels parmi les individus de l'espèce humaine, engagés dans des groupes sociaux avec des rapports de pouvoir, décident de la direction de l'évolution ?
•    Un problème écologique : la sélection n'étant plus essentiellement naturelle, elle se fait donc au profit de l'espèce humaine. Mais au détriment de quelles espèces ? Et quelles espèces doivent-elles être sauvegardées ?
•    Ce qui amène au problème éthique : en fonction de quelles valeurs l'homme doit-il s'augmenter, et ce faisant transformer la biosphère ?
•    C'est en ce point qu'apparaît le nœud du problème qui est logique : comment un sujet peut-il former le projet de ne plus être ce qu'il est ?

Ce qui met en évidence l'essentielle irrationalité du projet transhumaniste.
On pourra alors examiner ce que peuvent être les passions humaines, trop humaines, qui l'alimentent en énergie sous sa façade de rationalité.

Pierre-Jean Dessertine


Le transhumanisme, délire ou avenir imminent ?


Depuis  environ une vingtaine d’années nous parviennent des Instituts de recherche et Universités américaines liées à la « Silicon Valley » des rumeurs de plus en plus médiatiques, où se mêlent annonces de découvertes scientifiques et technologiques, projets pour le moins révolutionnaires, menaces ou espoirs touchant un futur relativement proche, enjeux économiques considérables. Tout cela a pour toile de fond une spiritualité New-Age où la confiance en la raison et les Lumières côtoie une science-fiction nourrie de Van Vogt et d’Asimov, et des références religieuses disparates, hindoues, bouddhistes ou même chrétiennes, puisque Teilhard de Chardin y retrouve une certaine actualité, après un passage aux oubliettes de la théologie.

Toute cette effervescence, où une presse avide de sensations fortes trouve son fond de commerce, se cristallise sous le nom de « transhumanisme », dont on peut se demande si il relève d’une délirante utopie, ou d’une futurologie qu’il faudrait prendre au sérieux. La méfiante chouette en laquelle Hegel voyait le symbole de la philosophie semble une fois encore arriver en retard, apercevant mal de ses yeux écarquillés ce qui se cache derrière le moutonnant zapping de la doxa. Mais, ne serait-ce que parce que cette idéologie américaine dispose de moyens financiers colossaux,  il devient manifeste que le transhumanisme, d’une manière ou d’une autre, bousculera et peut être révolutionnera le quotidien de nos vies, sans parler de notre humanité : face à lui, il est donc urgent que l’oiseau de Minerve reprenne sa tâche de toujours : penser.

Par delà la faisabilité de projets qui paraissent sous la plume d’un Ray Kurtzweil plus fantaisistes que fantastiques, le discours transhumaniste a l’avantage de nous forcer à reconsidérer sous un nouvel angle des problèmes philosophiques récurrents depuis l’Antiquité : compte tenu des limites de temps, je me bornerai pour ma part à n’en aborder que deux :








1° Le rapport de l’homme à sa mortalité et à son désir d’immortalité. La perspective d’un recul de la mort, dans des proportions inouïes, jusqu’ici n’ébranle-t-elle pas les positions sur lesquelles la philosophie se sentait à peu près assurée : celles d’un « humanisme » hérité des grecs où l’homme, comme brotoV (brotos) se situait dans un « juste milieu » entre les qeoi aqanatoi (theoi athanatoi, dieux immortels) et les zwa (zôa, les animaux), qui sont mortels mais ne le savent pas ?



2° Le rapport esprit/corps ou pensée/ cerveau : certaines affirmations empruntées aux neuro-sciences pourraient conduire, à travers un matérialisme affirmant brutalement que c’est le cerveau qui pense, à l’utopie de machines pensantes ou de cyborgs en réseau avec l’humanité, qui prendraient le relais de ce cerveau, après tout bien imparfait. Cette perspective est-elle seulement pensable ? La philosophie n’a-t-elle qu’à s’incliner derrière une prétendue positivité du discours scientifique, ou n’a-t-elle pas des arguments pour remettre en question la vision transhumaniste de ce qu’est la « pensée » ?
Pierre Koest