13/11/2014, "Le Royaume" d'Emmanuel Carrère

Un des grands intérêts du livre " Le Royaume" est ce dialogue entre les deux Emmanuel Carrère :

- celui d'il y a 20 ans, qui a fait preuve pendant 3 ans d'une foi dévorante et mystique, qui passait plusieurs heures par jour à lire l' évangile selon St Jean, et à remplir ses carnets évangéliques,

- et l'agnostique d'aujourd'hui, "même pas assez croyant pour être athée", mais qui garde un "goût" pour la Parole, pour le Nouveau Testament et analyse honnêtement ce qui lui reste du message du Royaume.

Ce dialogue tourne autour de trois questions principales :
- les sources : quel est exactement le message originel du Nouveau Testament, comment s'est-il constitué ?

- comment expliquer l'incroyable succès de ce message ? Comment une petite secte de Palestine, une région perdue de l'empire romain, est-elle devenue la principale église de l'empire, à l'origine des principales religions du monde occidental ?

- que reste-t-il du message originel ? Que signifie "Le Royaume" aujourd'hui ?



Extraits du "Royaume" :

« À un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C’est passé.

Je suis devenu celui que j’avais si peur de devenir. Un sceptique. Un agnostique – même pas assez croyant pour être athée. Un homme qui pense que le contraire de la vérité n’est pas le mensonge mais la certitude. Et le pire, du point de vue de celui que j’ai été, c’est que je m’en porte plutôt bien.

Affaire classée, alors ? Il faut qu’elle ne le soit pas tout à fait pour que, quinze ans après avoir rangé dans un carton mes cahiers de commentaire évangélique, le désir me soit venu de rôder à nouveau autour de ce point central et mystérieux de notre histoire à tous, de mon histoire à moi. De revenir aux textes, c’est-à-dire au Nouveau Testament.

Ce chemin que j’ai suivi autrefois en croyant, vais-je le suivre aujourd’hui en romancier ? En historien ? Je ne sais pas encore, je ne veux pas trancher, je ne pense pas que la casquette ait tellement d’importance.

Disons en enquêteur. »

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« Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité. Je ne crois pas qu'un homme soit revenu d'entre les morts. Seulement, qu'on puisse le croire, et de l'avoir cru moi-même, cela m'intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse [...]. J'écris ce livre pour ne pas me figurer que j'en sais plus long, ne le croyant plus, que ceux qui le croient et que moi-même quand je le croyais. J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens. »

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« Toute la doctrine de Paul, si on peut appeler doctrine quelque chose d’aussi intensément vécu, repose là-dessus : la résurrection est impossible, or un homme est ressuscité. En un point précis de l’espace et du temps s’est produit cet événement impossible, qui coupe l’histoire du monde en deux : avant, après, et coupe aussi en deux l’humanité : ceux qui ne le croient pas, ceux qui le croient, et pour ceux qui le croient, qui ont reçu la grâce incroyable de croire cette chose incroyable, rien de ce qu’ils croyaient auparavant n’a plus de sens. »


Autres Citations :

Alfred Loisy
« Jésus annonçait le Royaume, et c'est l'Église qui est venue. »

G. K. Chesterton
« Le monde moderne n’est pas méchant ; sous certains aspects, le monde moderne est beaucoup trop bon. Il est plein de vertus désordonnées et décrépites. Quand un certain ordre religieux est ébranlé (comme le fut le christianisme à la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices que l’ont met en liberté. Les vices, une fois lâchés, errent à l’aventure et ravagent le monde. Mais les vertus,
elles aussi, brisent leur chaînes, et le vagabondage des vertus n’est pas moins forcené et les ruines qu’elles causent sont plus terribles.

Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles.

Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et parce qu’elles vagabondent toutes seules. C’est ainsi que nous voyons des savants épris de vérité, mais dont la vérité est impitoyable ; des humanitaires éperdus de pitié mais dont la pitié (je regrette de le dire) est souvent un mensonge.
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Il est vain de parler de l’antagonisme de la raison et de la foi. La raison est elle même un sujet de foi. C’est un acte de foi de prétendre que nos pensées ont une relation quelconque avec une
réalité quelle qu’elle soit. »